mardi 8 décembre 2009

Maladi ya ndeke

Kinshasa, 17/11/2009 / Société
Pour soi­gner les épilepti­ques, la plupart de familles au Bas­-Congo recourent aux tradi praticiens ou aux sectes reli­gieuses plutôt que d’aller dans les hôpitaux. Ce qui in­quiète les médecins de cette province ou cette maladie est surtout considérée comme un mauvais sort...
« Si je pense à mon passé, je vis de nouvelles crises », dit P. les larmes aux yeux .Cette femme d’une quarantaine d’armée vit à Matadi, capitale de la pro­vince du Bas-Congo à 365 km de Kinshasa. Son mari l’a quittée depuis quelques années l’abandonnant avec les enfants, parce qu’elle est épileptique.Aujourd’hui elle vit seule avec son fils cadet. « Cette maladie a brisé mon mariage. « C’est ma tante qui m’a ensorcelée par jalousie », raconte-t-elle, enragée. Une de ses soeurs explique que leur père a dépensé tout son argent pour la faire soigner, l’ame­nant d’un tradi praticien à un autre, mais en vain. « Le plus dur, c’est de voir mes enfants délaissés et ne plus aller à l’école », s’apitoie P.1. Dans cette région où les croyances à la coutume sont très enracinées, la po­pulation perçoit l’épilepsie comme une maladie mys­térieuse due à une posses­sion démoniaque ou à une initiation à la sorcellerie. Robert Kabeya qui se pré­sente comme tradi praticien moderne, explique que, « 70 % des cas: d’épilepsie sont d’origine surnaturelle. « Re­présentant spirituel d’une église locale proche des Kimbanguistes appelée l’Association confessionnelle Kintuadi (Ack) et tra­di praticien ancestral, Menga Menga pense lui, que l’épilepsie est une infection « causée par un choc brutal, une brûlure au niveau de la tête pendent l’enfance, un paludisme mal soigné ou la sorcellerie ».
Croyances d’un autre âge
Forts de ces croyances, tradi praticiens et églises de réveil prétendent être les seuls capables de guérir cette maladie. Ils atti­rent dès lors des milliers de malades. « Ce sont des pos­sédés qu’il faut délivrer », madame Matala Muanda, de l’Assemblée chrétienne Lu­mière du monde. Depuis 2008, l’Ack dit avoir reçu plus de 6000 cas au Belvédère, son centre d’inter­nement au nord de Matadi. Là, les épileptiques sont soignés avec des tisanes à base d’une plante, « Zola nsi aku » (aime ton pays) qui sont parfois mélangées aux écorces de manguier « lors­que la cause est naturelle ». En cas de sorcellerie « dé­tectée par un celle spirituel », explique Menga Menga, le traitement est différent. « Des délivrances sont or­ganisées pour chasser le mauvais esprit par des pu­rifications avec lavement et purge à l’eau bénite asso­ciée aux tisanes ».De nombreux inter­dits sont alors imposés aux personnes qui souffrent de la maladie, comme ne pas regarder un cadavre ni con­templer l’eau ou le feu, ne pas manger le poulet ou de la volaille... Les crises con­vulsives provoquées par l’épilepsie sont même comparées à l’agonie du poulet, d’où l’appellation « maladi ya ndeke » (maladie de l’oiseau, en lingala) qu’on lui donne dans le pays. D’après ces croyances, eux qui n’observent pas ces interdits s’exposent à la mort ou au retour des crises.Des interdits qui l’expliquent peut-être l’inca­pacité des églises et des tradi praticiens à véritable­ment guérir les malades. « Il y a des cas difficiles qui nous échappent », avoue en effet Menga; Menga. Chose que reconnaît aussi Matala Muanda qui explique que souvent, le démon revient pour posséder les malades. « Du coup les crises repren­nent et nous leur recom­mandons souvent de s’at­tacher à Dieu et de bannir toute distraction, car le ma­lin est rusé », dit-il.
Se confier au médecin
Ces croyances em­pêchent les gens d’aller vers les hôpitaux. Mais ceux qui s’affranchissent de ces ta­bous y vont. Ainsi en 2008, le Centre de santé mentale de Matadi a-t-il reçu 131 cas d’épilepsie. « C’est une ma­ladie neurologique qui se manifeste par une répétition de crises convulsives sans fièvre », explique Dr Robert Niati, spécialiste en santé mentale. Il rassure que les épileptiques peuvent bel et bien être traités par la mé­decine moderne, même si cela prend du temps. « Nous leur donnons du fénobarbu­tol à prendre chaque jour au coucher pendant 18 mois, renseigne-t-il.Mais, comme le té­moigne P.I. qui s’est finale­ment confiée à un médecin après avoir été sans succès chez des tradi praticiens, le plus difficile c’est d’aller jus­qu’au bout du traitement. « Le médecin m’a prescrit des médicaments et je me portais bien quand je les prenais, reconnaît-elle. Mais quand j’arrêtais les cri­ses réapparaissaient.Marie-Louise Ikele Poba/Le Phare

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